Un récit pour voyager : depuis les forêts d’hier jusqu’à celles d’aujourd’hui
Spécialiste de l’impact du changement climatique sur les forêts en France, Hervé Le Bouler est aujourd’hui conseiller scientifique de Daisy Copeaux, directrice du Domaine forestier pour la forêt du Domaine du Château de Chantilly. Il a non seulement réalisé des recherches auprès de l’ONF et des instituts forestiers mais il a aussi piloté le réseau forêt de France Nature Environnement. Enfin, il a dirigé le Conservatoire national de la biodiversité forestière pendant 36 ans.
Or, d’une façon surprenante, le livre se départ largement d’une collection de conseils d’expert.
L’histoire est d’abord celle d’une longue tournée à travers nos régions de France. Grâce à ce récit, l’auteur nous emmène dans les forêts d’aujourd’hui - celles de l’aire méditerranéenne, du Jura, de Haute-Corrèze, du Massif armoricain, des Landes, ou encore de Verdun et Fontainebleau.
Il nous fait suivre la trace des forêts d’hier vers cet « autre monde » mené par les humains. Depuis 6000 ans, ceux-ci ont en effet profondément modifié leur mode de fonctionnement : parcelles défrichées pour l’agriculture, champs cultivés, prés pour le bétail, récolte du bois, par exemple – ce qui n’est pas sans conséquence.
Hervé Le Bouler interroge ainsi la nécessité de réinventer le métier de forestier et sa relation avec la société.
Un récit pour alerter : « 9 000 ans de stabilité climatique viennent de se terminer au XXème siècle »
Le climat moyen va devenir plus chaud. Les arbres souffriront encore davantage de problèmes de disponibilité en eau. Affaiblies, elles seront aussi plus sensibles aux parasites et aux maladies. De plus, des évènements extrêmes et peu prévisibles se multiplieront.
Dans un tel contexte aussi chaotique, la gestion des crises va alors prendre le pas sur les seules production et la récolte de bois. Gérer les forêts consistera alors d’abord à assurer le maintien d’écosystèmes forestiers fonctionnels, résistants et adaptables face à des aléas de plus en plus fréquents et forts.
Un livre invitant forestiers, élus, savants, entreprises, citoyens à s’associer
Quand le climat restait sensiblement stable, le futur de la forêt était prévisible. La gestion forestière moderne pouvait reposer sur la connaissance des processus naturels et celle des impacts à long terme de l’intervention de l’homme en forêt.
Or, depuis que l’homme et la forêt ont partie liée, on est sorti de cette stabilité.
Une immense tempête silencieuse et permanente s’est déclarée : nous nous dirigeons au-delà d’accidents climatiques isolées.
Incendies, sécheresses, tempêtes, dépérissements à grande échelle, maladies et insectes ravageurs : ces événements devenus trop réguliers interrogent les pratiques,
Certains événements mettent en evidence une perte d’adaptation locale de certaines espèces . Il faudrait alors envisager de soutenir les migrations d’espèces d’arbres vers le nord compte tenu du changement climatique et de choisir les essences idoines.
D’autres enjeux apparaissent. Par exemple, on se demande s’il faut aussi par exemple laisser les forêts pousser naturellement et sans gestion ou au contraire privilégier des plantations rigoureusement cadrées. Ou encore, comment et à l’aide de qui gérer les forêts privées - la grande majorité de la surface forestière française.
Pour Hervé le Bouler, forestiers, élus, savants, entreprises, citoyens doivent s’associer : pour interroger et faire évoluer notre vision de la forêt, son comportement et sa gestion.
Un récit optimiste pour proposer des solutions concrètes
Hervé Le Bouler nous propose plusieurs options afin de contrer ces incertitudes :
1° Augmenter la diversité des espèces d’arbres, abandonner la monoculture
La culture forestière reste encore trop soumise à la tendance à la monoculture. Avec les changements climatiques et l’explosion des nouveaux parasites, elle devient un handicap majeur voire parfois mortel pour la forêt. Un nouveau parasite, un ouragan ou quelques années plus chaudes et plus sèches et toute une essence forestière régionale est menacée de disparaître. Il est donc urgent d’augmenter la diversité des espèces d’arbres.
2° Compter sur la capacité des arbres en place
Comptons sur les 2 à 3 milliards d'arbres adultes dans les forêts françaises.
Ils se reproduisent. Chacun génère plusieurs centaines de graines chaque année. Partout. Spontanément. Chacune d’elles pourra potentiellement devenir un nouvel arbre disposant d’un patrimoine génétique différent, ce qui favorisera une adaptation rapide à un environnement nouveau. Il existera aussi des survivants : ceux qui auront été sélectionnés sur le fondement de leur capacité à résister aux canicules, aux sècheresses et aux attaques de parasites qui causeront le décès de la majorité des semis.
Ils transmettront cette résistance à leur descendance. L’espèce locale se sera aussi adaptée à son nouveau contexte. En outre, grâce aux milliers d’années de cohabitations avec les autres espèces de la forêt, animaux, plantes champignons, tous voisins, plus ou moins cousins, ils formeront une communauté équilibrée faite de cette longue cohabitation. Les arbres locaux seront beaucoup moins sensibles aux dégâts que les autres espèces pourraient produire sous forme de maladie ou de pullulations d’insectes.
3° Planter et favoriser la migration assistée des espèces
La régénération naturelle ne suffira pas, il faudra aussi planter.
Ceci signifie mélanger les espèces, les tailles et les âges. Cela demande de s’assurer que l’introduction de ces espèces nouvelles ne sèmera pas le désordre dans les communautés d’espèces vivant déjà dans la forêt.
Hervé Le Bouler promeut les méthodes d’adaptation.
Les questions qu’elles soulèvent relève de la migration assistée des espèces dans le but d’adapter les écosystèmes aux changements climatiques. Il propose d’aller chercher ces nouvelles espèces en priorité dans les pays de l’ouest de l’Europe et de l’ouest du bassin méditerranéen. Depuis des centaines de milliers d’années, à la suite des migrations et recolonisations post glaciaires et dans les refuges du sud durant les glaciations, ces espèces se croisent et cohabitent. Elles entretiennent alors, et sur des temps très longs, des relations de voisinage et de cohabitation. Or, par le biais de la sélection, elles s’inscrivent dans leur patrimoine génétique en minimisant, pour les héritiers de ce patrimoine, les risques de déséquilibres écologiques lourds avec les espèces vivantes en leur compagnie. La mémoire génétique de leur coadaptation pourrait donc se transmettre entre générations. De plus en s’hybridant facilement avec les espèces locales dès la seconde génération, les espèces proches venus des régions plus chaudes pourraient aussi peu à peu diffuser des gènes d’adaptation parmi les espèces locales. Ceci permettra d’accélérer l’adaptation en continu de tout l’écosystème forestier aux nouveaux contextes climatiques.
4° Prendre soin de toute la forêt grâce à quelques principes généraux de gestion
Le métier de forestier doit se réinventer. Hervé Le Bouler recense alors quelques principes généraux de gestion applicables partout, et en particulier le fait d’adapter des pratiques de gestion bénéfiques qui aideront les espèces à se maintenir.
Par exemple, la forêt génère son propre microclimat, en particulier via l’ombre portée des arbres. Le fait d’éviter de mettre à nu et en pleine lumière le sol permet d’éviter des montées en température qui détruisent les semis. En outre, le fait de protéger les sols forestiers qui constituent une réserve d’eau pour les plantes lorsque les pluies sont insuffisantes, mais soutiennent aussi tout un écosystème. Dans ce contexte, de nombreuses pistes sont à explorer et à développer concernant par exemple : la pression au sol des machines, la technique d’exploitation à faible impact au sol comme le débardage par câble ou en encore l’utilisation d’outils tels que les exosquelettes ou le retour au débardage à cheval pour les bois de qualité́ dont la valeur peut absorber le surcoût.
... Un récit illustrée par de magnifiques photographies, des conseils d’experts et de fines intuitions… ce livre va nous servir. De belles idées optimistes qui vont nous accompagner pour penser la régénération des forêts.