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Via l’instauration de « marchés carbone » accessibles aux États et aux entreprises et par la démocratisation de la « compensation volontaire », la finance carbone est devenue un instrument puissant et complexe au service du climat. À condition d’être bien menée, c’est-à-dire précédée d’une réduction drastique des émissions, la mécanique de la finance carbone est à ce jour le seul moyen efficace de lever des fonds à grande échelle.
* Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques.
Les marchés carbone : des approches multiples
La finance carbone s’organise autour de différents systèmes d’échange d’actifs carbone régis par des cadres réglementaires ou non. Il existe aujourd’hui une grande diversité de marchés carbone.
Il est important de distinguer deux grands types de mécanismes : les systèmes d’échanges de « quotas » d’émissions (SEQE) et les mécanismes de « compensation carbone » fonctionnant via la vente de « crédits carbone ».
Les marchés carbone réglementés ou « de conformité »
Le Protocole de Kyoto de 1997 imposait pour la première fois aux États les plus riches des objectifs contraignants en matière de réduction des GES. Pour accompagner les gouvernements, la réglementation prévoyait la création et le déploiement de trois marchés du carbone* reconnus par l’ONU dont le Système international d’échange de quotas d’émissions (SIE), décliné indépendamment par certaine région ou pays du monde.
* 1 - le Système international d’échange de quotas d’émissions (SIE), 2 - le Mécanisme de développement propre (MDP) et 3 - la Mise en œuvre conjointe (MOC).
Le système européen d’échange de quotas d’émissions
Si une vingtaine de marchés nationaux et internationaux se sont créés depuis, le plus grand marché carbone régional a vu le jour en Europe en 2005, appelé Système d’Échange de Quotas d’Émission (SEQE-UE). Cet outil normalisé à l’échelle européenne a permis d’attribuer un plafond d’émissions carbone à chaque industrie en lui allouant un nombre maximal de « quotas » qu’elle ne doit pas dépasser. C’est le principe de « plafonnement et d’échange » ou « Cap and Trade ».
Les industries concernées par la réglementation sont les plus polluantes (électricité, raffinage de pétrole, aviation…) et représentent environ 50%* des émissions de l’UE. Elles disposent chacune d’un nombre de « quotas » ou EUA (European Allowances) qu’elles sont en droit d’émettre pour une période donnée. Si elles parviennent à abaisser leurs émissions sous le seuil correspondant, elles peuvent revendre leurs « quotas » non utilisés. À l’inverse, si une grande entreprise émet plus de GES que la limite autorisée, elle est obligée d’acheter des quotas aux organisations excédantes qui, elles, revendent les leurs. La philosophie du « pollueur-payeur » a pour objectif d’inciter les entreprises à investir dans des procédés moins polluants afin de ne pas avoir à débourser pour se mettre en règle.
Chaque système d’échange de quotas répond à ses propres règles, tant en termes d’industries couvertes qu’en termes d‘objectifs de réduction. C’est pourquoi les prix du carbone fluctue à travers le monde, en plus de répondre au principe de l’offre et de la demande. Sur le marché européen, le coût d’un « quota », correspondant à une tonne de carbone, a passé la barre des 80€ en 2022.
*Source : ministère de la Transition écologique.
Le marché carbone volontaire
Un marché carbone dit « volontaire », car régi par aucune institution publique, s’est développé mondialement en dehors des marchés réglementés. Si les marchés carbone de l’ONU visaient à permettre aux États d’atteindre leurs objectifs nationaux, ce nouvel instrument offre la possibilité aux entreprises (et dans une moindre mesure aux particuliers) qui le souhaitent de contribuer à la neutralité carbone globale hors de leur chaîne de valeur.
Le mécanisme de la « compensation carbone »
Sur le marché d’échange volontaire, les entreprises achètent des crédits carbone en finançant des projets à visée environnementale. C’est ce qui est couramment appelé la « compensation carbone ». Cette dernière implique donc au moins deux parties prenantes : le financeur et le porteur du projet carbone financé.
Le principe de « compensation » n’a pas été inventé par le marché volontaire pour autant, puisqu’il régit également deux des trois marchés instaurés par le Protocole de Kyoto en 1997 : le Mécanisme de développement propre (MDP) et la Mise en œuvre conjointe (MOC). En effet, ces derniers permettaient à des États de compenser leur empreinte carbone via l’achat de crédits carbone reconnus en dehors de leurs frontières.
Avec 30,7 millions* de crédits carbone vendus dans le monde en 2021, le marché carbone volontaire a connu une hausse de 54% par rapport à 2020.
*Source : “État des lieux de la compensation carbone en France” – INFCC, 2022.
Les crédits carbone, ces unités climatiques
Dans un souci d’harmonisation, les marchés carbone utilisent tous la même monnaie d’échange internationale appelée « tonne équivalent CO2 » (teqCO2)* à laquelle est attribué un prix monétaire variable. Un « quota » réglementaire donne le droit d’émettre une tonne équivalent CO2. Sur les marchés de compensation, un crédit carbone correspond quant à lui à une tonne de carbone évitée ou absorbée.
En dirigeant d’importants flux financiers vers la lutte contre le changement climatique, les « crédits carbone » issus du marché volontaire sont devenus la clé de voûte de la finance carbone, agissant comme une puissante incitation économique à contribuer à la neutralité carbone globale.
Les critères de qualité des crédits carbone
Quelle que soit la méthode de certification utilisée, un crédit carbone doit respecter 6 critères fondamentaux pour être alloués à un projet climatique. Il doit être :
1 - Additionnel : la séquestration et/ou l’absorption des GES n’aurait pas eu lieu sans la vente des crédits carbone.
2 - Réel : les bénéfices climatiques sont vérifiés et comptabilisés. Les crédits carbone émis correspondent à des réductions d’émissions ayant déjà eu lieu.
3 - Mesurable : le carbone stocké est quantifié selon une méthodologie connue et approuvée par un standard international.
4 - Unique : le crédit carbone est inscrit sur un registre unique pour éviter les problèmes de double-comptage.
5 - Permanent : le stockage du carbone est garanti comme pérenne et irréversible sur une durée minimum de 30 ans.
6 - Indépendamment vérifiés : les crédits sont issus d’audit menés par des tiers agréés et correspondent à la quantité de carbone réellement stockée ou évitée sur le terrain.
*D’autres GES que le CO2 sont concernés. Six gaz sont pris en compte : dioxyde de carbone, méthane, oxydes nitreux, hydrofluorocarbures, hydrocarbure per fluoré, hexafluorure de soufre. Il existe un tableau de conversion de ces gaz en CO2.
À chaque crédit carbone son marché
Qu’il soit réglementaire ou volontaire, chaque marché carbone propose ses propres réductions d’émissions. Ces dernières portent donc des noms différents en fonction des marchés. Prenons le cas des crédits carbone mis en vente sur le marché volontaire : ils sont certifiés par des standards internationaux dont les deux plus connus sont le Gold Standard, qui donne droit à des VER (verified emission reduction), et Verra qui délivre des VCU (verified carbon unit).
En France, le ministère de la Transition Écologique a institué un cadre de certification climatique volontaire qui valorise et certifie des réductions d’émissions ou RE permises par des projets de compensation sur le territoire français : c’est le Label Bas Carbone.
Pour le moment, les crédits issus du marché volontaire ne peuvent pas être utilisés par les États pour remplir une obligation réglementaire.
Les projets financés via la compensation carbone
L’intention étant toujours de contrebalancer les émissions de GES, deux actions sont possibles : absorber une partie du CO2 déjà présent dans l’atmosphère ou empêcher de futures émissions de CO2 d’être générées.
Il existe deux grandes typologies de « projets carbone » certifiés dans le cadre de la « compensation » carbone.
Les projets de séquestration du carbone s’appuient sur le développement de puits de carbone naturels - via des projets forestiers, des projets agricoles ou encore des projets de protection des océans - ou artificiels.
Les projets de réduction des émissions s’appuient sur le développement des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la gestion des déchets, l’amélioration des équipements domestiques, et autres techniques permettant de générer moins d’émissions carbone.
Les Solutions Fondées sur la Nature
De nombreux projets carbone permettent de financer des Solutions fondées sur la Nature (SfN) - ou Nature based Solutions (NbS) en anglais. Les SfN s’appuient sur la nature pour générer des bénéfices environnementaux, sociaux et économiques. En comparaison avec les solutions technologiques, elles représentent des alternatives économiques viables et durables face aux changements climatiques. À elles seules, elles pourraient contribuer à un tiers de l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris*.
*Source : UICN
Premier réservoir de carbone des terres émergées, la forêt est une Solution fondée sur la Nature de premier plan pour capter le CO2 de l'atmosphère. Au travers de plusieurs solutions carbone adaptées aux entreprises, Reforest’Action place la forêt au cœur du marché carbone volontaire.
En 2021, 27%* des crédits vendus sur le marché volontaire mondial étaient issus de projets de préservation de forêts contre la déforestation et 14% de projets de reforestation et d’afforestation.
*Source : “État des lieux de la compensation carbone en France” – INFCC, 2022.
L’article 6 : améliorer le système de comptage de la finance carbone
Depuis 2021 et la COP26, la finance carbone réglementaire est encadrée par l’Accord de Paris, et notamment par son article 6. Cet article oblige tous les États, et plus seulement les pays riches du Protocole de Kyoto, à se fixer des objectifs ambitieux de réduction des émissions carbone sous la forme d’une Contribution Déterminée au Niveau National (CDN) qu’ils sont dans l’obligation d’atteindre au terme d’une période donnée.
La vocation première de l’article 6 est améliorer la justesse de comptage du carbone entre les différentes parties prenantes, et ainsi palier le problème actuel de double comptage. Ce dernier désigne le fait de comptabiliser une réduction d’émission plusieurs fois, dans plusieurs inventaires à la fois.
L’article 6.2
Cette première partie définit la mise en place d’un système de transfert de réductions d’émissions entre États. L’objectif est de permettre aux pays qui ne parviendraient pas à atteindre leur NDC d’acheter des résultats d’atténuation (ITMO) à d’autres États.
Pour éviter le double comptage, chaque ITMO devra obligatoirement faire l’objet d’un « ajustement correspondant » de la part du pays vendeur, qui ajoutera autant d’émissions carbone à son inventaire que de réductions vendues.
L’article 6.4
Cet autre volet de l’article offre la possibilité aux entités publiques et privées d’acheter des crédits carbone éligibles issus de projets certifiés selon une méthodologie précise. Suivant le même schéma que le marché de la compensation volontaire, ce mécanisme régulé par l’Accord de Paris permettra de réglementer les échanges de crédits carbone issus de projets de réduction d’émissions. Les discussions sur l’article 6.4 sont encore en cours, avant une mise en place effective.
Les crédits carbone autorisés par l’article 6.4 devront également être associés à un « ajustement correspondant » de la part du pays dans lequel se trouve le projet carbone. Pour être intégrées à la stratégie de compensation carbone d’une entreprise, les réductions d’émissions ainsi vendues (sous la forme de crédits) ne pourront donc plus être comptabilisées dans la CDN du pays hôte.
Les organismes de certification volontaire tels que Verra et Gold Standard auront la possibilité de délivrer des crédits carbone reconnus par l’article 6.4, gommant ainsi la limite entre marché carbone volontaire et réglementaire.
Un autre exemple de tarification du carbone : la taxe carbone
Les marchés du carbone ne représentent qu'un des dispositifs légaux utilisés pour donner un prix au carbone. À titre d’exemple, l’augmentation de la taxe carbone en France a soulevé les foules. Malgré sa dénomination, il s’agit davantage d’une « redevance » que d’une taxe à proprement parler. Payée par les utilisateurs eux-mêmes, elle s’ajoute au coût des produits et/ou services ayant recours aux énergies fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) depuis 2014.
Proportionnelle à l’utilisation, cette composante est destinée à agir tel un « signal-prix » pour changer les comportements des particuliers, des artisans et des petites entreprises qui y sont soumis. Les industriels, eux, doivent passer par les marchés réglementés (décrits plus haut dans cet article) et ne sont pour le moment pas concernés par la taxe carbone.
Ce fonctionnement est plus simple car le prix de la tonne carbone est fixé par les États et n’est pas modulable via les mécaniques de marché. Il s’élevait en France en décembre 2022 à environ 45€ la tonne.
La finance carbone au service de la neutralité carbone planétaire
À la moitié du siècle, la planète devra avoir atteint la « neutralité carbone » définie par l’Accord de Paris en 2015.
Aboutir au point de neutralité signifie trouver l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et leur séquestration par les puits de carbone. Pour atteindre cet objectif, deux actions complémentaires sont nécessaires : réduire les émissions de GES et augmenter la séquestration de CO2 dans des puits artificiels ou biologiques, tels que les forêts. Étant donné l’urgence climatique, il est impératif d’agir sur ces deux solutions en parallèle.
Une seule neutralité carbone possible
La seule neutralité carbone qui soit rigoureusement définie par la science est planétaire et collective. Le défi de la neutralité carbone n’est relevable que si elle est abordée au niveau global, dans une approche de contribution collective, qui ne se limite donc pas à son propre spectre.
La réduction drastique des émissions de GES est la priorité absolue. Cependant, pour ajuster la balance et atteindre la neutralité, nous ne pouvons pas nous contenter d’une économie qui réduit son empreinte. Les entreprises doivent repenser de manière holistique le rapport qu’elles entretiennent avec la nature pour permettre l’émergence d’une économie régénérative productrice d’impacts positifs sur le vivant dans son ensemble.
Entre marchés carbone historiques et compensation volontaire, la complexité de la finance carbone - qui peut aboutir à sa mauvaise utilisation - ne doit pas masquer la puissance économique et environnementale de ce dispositif.
Chez Reforest’Action, nous considérons la finance carbone non pas comme une finalité, mais comme un moyen essentiel pour atteindre les objectifs de neutralité carbone planétaire. Levier d’implication des entreprises dans la lutte contre le changement climatique, elle est d’autant plus nécessaire à la transition vers une économie bas carbone. En outre, la « dimension carbone » ne peut se suffire à elle-même. Souhaitant aller bien au-delà, nous œuvrons au développement de projets de restauration d’écosystèmes naturels aux multiples co-bénéfices, pour la biodiversité et les communautés locales.
C’est en empruntant le chemin de l’amélioration continue que Reforest’Action participe au renforcement des process, vers une prise de responsabilité forte et en faveur d’une contribution carbone collective.