Le lundi 20 mars 2023, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)[1] a publié un [rapport de synthèse](http:// https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/) clôturant 8 années de travaux menés par plus de 1000 scientifiques ayant examiné plus de 85 000 publications.
Ce rapport résume l'état des connaissances sur le changement climatique, ses impacts sur les sociétés humaines et les écosystèmes. Il repose d’une part sur les trois volets du 6ème rapport d’évaluation du GIEC parus en 2021 et 2022[2] et consacrés aux bases physiques du réchauffement, aux impacts et aux solutions. D’autre part, il tient compte de trois rapports spéciaux qui portaient sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5 °C (2018), sur les terres et sur les océans et la cryosphère (2019).
Considéré comme un « guide de survie pour l’humanité », il établit non seulement le constat de problèmes majeurs mais détaille aussi les caractéristiques des leviers d’une transformation des sociétés et de l’économie. Les experts invitent à réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre tout en mettant en place des mesures d’adaptation au changement climatique.
Différentes options d’actions faisables, efficaces et abordables sont disponibles selon les auteurs du rapport – et notamment, la conservation des forêts, la reforestation, l’agroforesterie ou encore certaines pratiques utilisées en matière d’agriculture.
Selon le rapport du GIEC, la gestion responsable des forêts ainsi que la conservation et la restauration des écosystèmes constituent des défis majeurs qui doivent être relevés. Les solutions sont déjà entre nos mains pour agir et éviter le chaos climatique.
Toutefois, comme l’affirment en substance les experts, les flux financiers qui doivent y être consacrés sont encore loin d’être à la hauteur.
I. Le constat des problèmes majeurs
Des constats réalisés par le GIEC, on retiendra en particulier :
1. Le rôle "sans équivoque" des activités humaines dans le réchauffement climatique
Les activités humaines ont - « sans équivoque » selon le GIEC, provoqué le réchauffement de la planète, principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre. Pour la période 2011-2020, la température à la surface du globe atteint 1,1C° de plus qu’entre 1850 et 1990. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter - principalement à cause de la combustion d’énergies fossiles et des procédés industriels.
2. Un réchauffement de la planète de +1,5°C dès 2030
La poursuite des émissions de gaz à effet de serre entraînera une augmentation du réchauffement de la planète susceptible d’atteindre +1,5 C° de réchauffement climatique mondial à court terme, c’est-à-dire dans le début de la décennie 2030. Sans réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), tous les scénarios prédisent un monde à environ +2,7°C d’ici à la fin du XXIème siècle.
3. L’accroissement de la probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles
La probabilité de changements abrupts ou irréversibles - appelés « points de bascule », ne fait qu’augmenter. En effet, le réchauffement climatique entraînera des changements irréversibles tels que la montée des eaux, l’effondrement sans retour de la biodiversité ou la fonte des glaciers notamment. Les épisodes extrêmes - vagues de chaleur, fortes précipitations, sécheresses, tempêtes tropicales notamment, se multiplieront et s’accentueront en raison des dérèglements du climat.
Or un tel changement climatique constitue une menace au bien-être de l’humanité et de la planète. On observe déjà des effets directs et indirects sur l’agriculture, la santé et la biodiversité. Le changement climatique va aussi continuer à renforcer l’insécurité alimentaire et à affecter la sécurité de l’accès à l’eau. De plus, il conduira à déplacer un nombre croissant d’individus dans l’ensemble des régions du monde et en particulier dans les petits États insulaires. Le GIEC rappelle d’ailleurs que 3 à 3,6 milliards de personnes vivent déjà dans des contextes très vulnérables au changement climatique.
4. Les limites de l’adaptation
Selon les auteurs du GIEC, l’adaptation a déjà atteint ses limites dans certains écosystèmes et certaines régions déjà en proie à une « maladaptation »[3]. Le GIEC met ainsi en garde contre les dangers de mesures qui peuvent être totalement contreproductives. Si la climatisation constitue l’un des exemples les plus connus, il en existe d’autres. Construire une digue pour protéger des submersions marines alimentées par la montée du niveau de la mer peut conduire à développer la zone en question pourtant la plus à risque mais sans toutefois garantir un niveau de sécurité efficient.
5. Les flux financiers restent insuffisants
Selon le GIEC, l’insuffisance des financements et l’absence de cadres politiques et d’incitations financières sont les principales causes des lacunes dans la mise en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation[4]. Les flux financiers sont restés fortement axés sur l’atténuation. Ils sont inégaux et se sont développés de manière hétérogène dans les régions et les secteurs[5]. La finance climatique serait plus efficace à travers des collaborations internationales et des partenariats public-privé[6].
II. Les options d’actions envisagées par le GIEC pour atténuer le réchauffement climatique
Selon le rapport de synthèse du GIEC, « il existe de multiples façons, réalistes et efficaces, de réduire les émissions de GES et s’adapter aux impacts inévitables du changement climatique ». « Et elles sont accessibles dès à présent ». Il est notamment nécessaire d’opérer des transitions systémiques.
1. Atteindre la neutralité carbone
Le rapport représente « un message d'espoir » mais aussi un appel aux décideurs politiques à faire plus et plus vite, a indiqué le président du GIEC Hoesung Lee. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a ainsi appelé les pays riches à avancer leurs objectifs de neutralité carbone afin d’être « aussi proche que possible de 2040 », contre 2050 aujourd'hui en général, et « désamorcer la bombe climatique ».
Pour limiter le changement climatique, il faut que les émissions mondiales commencent enfin à baisser. Puis il faudra atteindre le plus vite possible la neutralité carbone : l’équilibre entre les gaz à effet de serre émis par les activités humaines et ce que la planète peut absorber.
Ce concept de neutralité implique nécessairement la notion de puits de carbone et donc, potentiellement, de capture et stockage de CO2, par le biais de diverses solutions telle que la reforestation.
Enfin, pour la première fois, le concept de sobriété est mis en avant dans un rapport de synthèse. Sa mise en œuvre opérationnelle est présentée comme l'une des solutions pour atteindre la neutralité carbone. Pour certains secteurs, le potentiel de baisse des émissions varie entre 40% et 70%.
2. Réorienter les financements
« Les infrastructures existantes d’énergies fossiles ont 50% de chance de nous faire dépasser le budget carbone pour limiter un réchauffement climatique à +1.5°C ». Il semble donc nécessaire de fermer de manière prématurée certaines infrastructures basées sur l’usage des énergies fossiles et de développer la capture et la séquestration de carbone sur celles qui restent en activité impératif.
3. Encourager l’inclusion, l’équité et la justice climatique
Selon le GIEC, 10% des ménages contribuent à 40% des émissions mondiales de GES. Toutefois, ce sont les populations les moins responsables des émissions qui subissent le plus fortement les conséquences du changement climatique. Il faut donc encourager l’inclusion, l’équité et la justice climatique qui favorisent à la fois l’adaptation, la baisse des émissions et un développement humain résilient, notamment dans les régions et chez les personnes fortement vulnérables, souvent les plus marginalisées.
4. Concilier efforts d’atténuation et d’adaptation
Il faut mener de front les efforts d’atténuation et d’adaptation, ce qui aura des effets combinés.
III. Le rôle des AFOLU (Agriculture, Forestry, and Other Land Use)
1. Les forêts et autres actions valorisées par le GIEC
Selon le GIEC, les options relatives à l'agriculture, à la sylviculture et à d'autres formes d'utilisation des terres présentent un potentiel substantiel d'atténuation et d'adaptation qui pourrait être renforcé à court terme dans la plupart des régions[1], d’autant que certaines options, telles que la conservation des écosystèmes à forte teneur en carbone - tourbières, zones humides, pâturages, mangroves et forêts, ont des effets immédiats.
Par ailleurs, la restauration des forêts et des tourbières asséchées ainsi que l'amélioration de la durabilité des forêts gérées renforcent la résilience des stocks et des puits de carbone. Elles réduisent la vulnérabilité des écosystèmes au changement climatique[2].
La forêt et l’agriculture représentent donc des domaines valorisés dans les recommandations du GIEC qui promeut en effet plusieurs pratiques :
- la réduction de la conversion des écosystèmes naturels,
- la séquestration du carbone dans l’agriculture,
- la restauration des écosystèmes,
- le reboisement et la reforestation,
- l’amélioration de la gestion durable des forêts,
- la valorisation de bonnes pratiques agricoles visant à la réduction du méthane et du protoxyde d’azote dans l’agriculture,
- la gestion des écosystèmes de carbone bleu (Blue Carbon).
2. Le rôle des politiques d’adaptation et de réduction des émissions et de contribution carbone
Selon le GIEC, les programmes fondés sur la forêt et certaines méthodes de l’agriculture peuvent être mis en place d’une part dans le cadre des politiques d’adaptation ou de réduction des émissions.
1/ Les politiques d’adaptation :
Les politiques d’adaptation, qui visent à réduire la vulnérabilité des populations au climat, ont prouvé leur efficacité. Reforester, protéger nos écosystèmes, ou encore adopter des pratiques durables d’agriculture représentent des solutions essentielles pour garantir que le réchauffement climatique ne dépasse pas les +2°C (et idéalement les +1,5°C) d’ici la fin du siècle. Et 400 milliards de dollars par an d'ici à 2050 sont nécessaires dans ce secteur pour combler le déficit d'investissement. Reforest’Action participe à son échelle à cet effort global grâce à l’aide de plus de 3000 entreprises.
Le GIEC considère plusieurs pratiques comme des exemples de stratégies d’adaptation efficaces :
- le développement de l’agroforesterie et de l’agroécologie. Les pratiques agroécologiques - réduction de l’utilisation d’engrais de synthèse, diversification des cultures, meilleure gestion des déjections animales… - permettent de limiter les émissions de gaz à effet de serre, de mieux stocker le CO2 dans les sols. Elles apportent de multiples autres bénéfices : protection de la biodiversité, meilleure qualité de l’eau, de l’air et des sols, sécurité alimentaire notamment. L’agroforesterie, c’est-à-dire l’association d’arbres, de cultures et/ou de bétail sur une même parcelle, montre également un fort potentiel d’atténuation.
- la diversification des cultures,
- la coopération et la prise de décision inclusive avec les communautés locales et les peuples autochtones, ainsi que la reconnaissance de leurs droits inhérents - partie intégrante du succès de l'adaptation des forêts dans de nombreuses régions,
- la restauration des zones humides,
- le verdissement des villes,
- le stockage de l’eau,
- les méthodes de diversification agricole,
Toutefois, selon le GIEC, ces politiques demeurent fragmentées et inégalement mises en œuvre. Les principaux obstacles à leur développement sont : le manque de ressources, notamment financières, ou encore l’absence d’engagement politique, citoyen ou du secteur privé.
2/ Les politiques de réduction des émissions et la contribution carbone :
Pour atteindre la neutralité carbone, il faut impérativement réduire les émissions à la source en limitant le CO2 émis par la combustion des énergies fossiles et lutter contre la déforestation. Parmi les meilleures solutions pour absorber les gaz à effet de serre déjà émis, le GIEC cite : la reforestation et la protection des forêts, l’utilisation de nouvelles méthodes d’agriculture tels que le stockage de CO2 dans les sols naturels ou la restauration des tourbières.
Conclusion
« Une fois approuvé, le rapport de synthèse deviendra un document politique fondamental pour façonner l'action climatique au cours de cette décennie charnière », a affirmé le président du Giec, Hoesung Lee. Ce rapport devrait servir de base factuelle aux futures négociations climatiques - notamment lors de la prochaine COP28 organisée à Dubaï du 30 novembre en 23 décembre 2023. Rappelons que celle-ci dressera un premier bilan mondial des politiques climatiques menées dans les différents pays pour tenir les objectifs des Accords de Paris.
Afin de « tenir » les objectif 1,5°C et 2°C de cet Accord, une baisse de 43% des émissions de GES d’ici à 2030 est nécessaire (par rapport à 2019) puis de 84% d’ici à 2050.
Malgré les difficultés, les solutions mises en avant dans ce dernier rapport du GIEC montrent qu’il est encore possible d'atteindre les objectifs de réchauffement de 1,5°C d'ici 2100 si nous agissons aujourd'hui : « chaque degré compte ».
[1] Le Giec, Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'évolution du climat, est un organe scientifique créé en 1988, par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme pour l’environnement des Nations-Unies. Ses membres sont des pays et non pas des personnes physiques : 195 pays en sont membres, soit quasiment tous les pays du monde. Sa mission consiste à « fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade ». Des milliers de scientifiques du Giec travaillent bénévolement, produisent une synthèse de la littérature scientifique existante. Cependant ils ne formulent de recommandations, ne conduisent pas de travaux de recherche ou ne suivent l’évolution des données ou paramètres climatologiques.
[2] Ces trois volets portent sur : l’accélération du changement climatique, l’adaptation et les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, initialement publiés entre août 2021 et avril 2022.
[3] Adaptation qui échoue à réduire la vulnérabilité mais au contraire l’accroît (IPCC 2001 :990).
[4] Synthèse du 6ème rapport sur l’évolution du climat du GIEC, p. 28 (AR6 Synthesis Report: Climate Change 2023, written during the Panel's 58th Session held in Interlaken, Switzerland from 13 - 19 March 2023) : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle
[5] Synthèse du 6ème rapport sur l’évolution du climat du GIEC, op.cit., p. 28.
[6] Op. cit., p. 28.
[7] O_p. cit_., p. 73.
[8] O_p. cit_., p. 73.